War is kind
Dédiée à Robert Fouchet

 

War is kind est une commande des Amis de Saint-Victor. Robert Fouchet, son directeur artistique, souhaitait que la nouvelle pièce soit écrite pour un soliste et un ensemble.
Par rapport à l’acoustique de l’Abbaye de Saint-Victor, la demande de Robert Fouchet m’a orientée vers la voix et le choeur. J’ai ensuite pensé au violoncelle, un instrument qui pourrait se mélanger mais aussi contraster avec un choeur de femmes.

Pour cette pièce, j’ai à nouveau eu envie de mettre en musique des poèmes de Stephen Crane. Précédement, j’avais composé « Make me a dream » pour choeur de femmes. Au départ, mon choix s’était arrêté sur un seul poème : « La guerre est aimable (War is kind) ». Puis, au fil de l’écriture de la pièce, en relisant le recueil de poèmes de Crane, plusieurs autres textes me sont apparus intéressants à mettre en musique. C’est alors que j’ai senti la nécessité de composer une oeuvre plus conséquente, un cycle de sept pièces.

Dans ces poèmes, Stephen Crane nous parle de la guerre, de la mort, de la perte. Des hommes partent fiers à la guerre pour sauver leur patrie, pour « sauver leur dame » mais sans savoir qu’ils se rendent sur les lieux du carnage!!
Une apparente naïveté ressort de la lecture des poèmes, et cette « fraicheur » rend le sujet d’autant plus fort et profond. Le contraste est saisissant entre l’insouciance de ces jeunes hommes qui partent à la guerre et la réalité des champs de bataille. Ce désir de combattre et de servir sa patrie devient ridicule face à la bestialité, au sang, aux larmes, à la douleur…
Stephen Crane fait ressortir dans ces poèmes que dans toutes les guerres les seules choses qui restent sont : la blessure, la perte, les larmes d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une soeur… Ce n’est pas la victoire que l’on retient. Et face à l’amour, la patrie est bien peu de chose car celle-ci nous laisse mourir dans l’indifférence.

En assemblant ces sept poèmes j’ai voulu poser mon propre regard sur les guerres.

Dans le cycle War is kind nous avons sept poèmes, sept musiques, sept couleurs, sept traitements sonores qui sont unis par ce même sujet, dans un seul geste compositionnel. Le violoncelle est parfois soliste, parfois accompagnant. La musique recherche toujours à mettre en son les mots, la dramaturgie des images poétiques de Stephen Crane. La naïveté tout comme la blessure sont présentes dans mon écriture. J’ai travaillé sur une mise à distance des émotions pour parler de ce sujet-là.

1. War is kind. Une plainte portée par les voix des anges qui se diffusent dans un halo de musique, de résonance. Les voix viennent de nulle part et de partout à la fois. Ces voix contrastent avec une musique plus brute, hachée qui nous décrit la réalité de la guerre et du champ de bataille.

2. Littel Shell. C’est la demande de l’enfant au coquillage pour savoir où est passé son frère, demande homorythmique, statique, naïve… Et le réponse du coquillage est au début souple, ondulante, puis devant l’insistance de l’enfant, elle devient plus distante, froide, amère.

3. Fast rode the knight. C’est le bond du cheval, intrépide, qui part à la guerre son cavalier sur le dos. Il évite les coups, il bondit dans le champ de bataille… La musique est en mouvement, régulière avec des soubressauts, des accidents…

4. A flower. Le cri de colère d’une mère qui perd son fils à la guerre. Ce cri monte petit à petit tout au long de la pièce, très doux au début, nous « décrivant » son fils, son ambition son devoir, sa loyauté. Puis la voix se tend petit à petit dans la musique jusqu’à la colère qui explose quand cette mère nous cri sa douleur. J’utilise ici des tessitures aigues pour des cris chantés, mais aussi de la voix parlée, de la voix criée, des glissandi, des notes qui frottent… L’image poétique de Stephen Crane à la fin du poème est une fleur, fleur donnée par la nation pour décorer le fils mort… et la mère déposa cette fleur sur la poitrine de son fils.

5. The chatter of a death-demon. Image d’un corbeau mécanique qui caquete interminablement la mort du chasseur. Il fait inexorablement le même mouvement régulier du corps. C’est un cauchemar… Musique où le violoncelle endosse la peau de cet automate. Le mouvement incessant des croches et doubles croches figure le caquetage de cet oiseau. Rien ne semble pouvoir s’arrêter…

6. A lad and a maid. C’est une parenthèse. Un garçon et une fille au bord du ruisseau, deux amoureux s’aimant avant le départ au combat, peut-être… Musique qui est comme le flot d’un cours d’eau, coulant, calme, fluide mais aussi avec ses remous, ses tourbillons.

7. The battle Hymn. C’est une longue phrase monodique qui passe d’une voix à l’autre. Parfois chantée par une seule voix, parfois chantée à l’unisson par toutes les voix. De temps en temps, pour compléter cette homorythmie, vient se superposer des contrepoints rythmiques ou des couleurs tenues modales. C’est l’image d’un grand choeur antique où toutes les voix nous interpellent sur le même sujet, à l’unisson, sans désaccord.

War is kind confirme (si besoin est !) qu’on possède dans la région l’un des compositeurs français les plus talentueux de sa génération


 

Presse

Signature contemporaine

Une fois n’est pas coutume, c’est à un concert de musiques d’aujourd’hui qu’on s’est rendu : un programme proposé par Les Amis de Saint-Victor autour des trois compositeurs marseillais Lionel Ginoux, Régis Campo et Nicolas Mazmanian. C’est dans la crypte souterraine de l’abbaye marseillaise que s’est massé le public, autour des artistes, tels d’antiques fidèles… Dès lors, une alchimie s’est produite : les vieilles pierres, riches d’un passé millénaire, sont entrées en résonance avec les harmonies d’aujourd’hui. Il faut dire aussi qu’on avait invité une musicienne exceptionnelle ! Emmanuelle Bertrand, rayonnante, a porté le concert vers des sommets artistiques et émotionnels rares. Dès ses premiers murmures au violoncelle (Après un rêve de Fauré, seul opus « classique » à l’affiche), secondée par Nora Lamoureux à la harpe, la barre a été placée haut… elle n’est pas retombée ! Omniprésente, Emmanuelle Bertrand a défendu en solo et avec une grande générosité de jeu, les partitions de Pascal Amoyel (Itinérance, 2003) comme le vibrant hommage à Henri Dutilleux signé Régis Campo (To be alive in power, 2016). C’est aussi l’ensemble vocal féminin Hymnis (dirigé avec talent par Bénédicte Pereira) qu’on a entendu dans les Cinq rondels de Charles d’Orléans (1998) de Jean-Michel Damase. L’équilibre des voix, la justesse de ton, l’engagement artistique font de cet ensemble vocal un des fers de lance de la musique chorale dans la région. Et c’est en compagnie de ces dix voix-là qu’on a pu découvrir deux œuvres inédites. War is kind (2017) confirme (si besoin est !) qu’on possède dans la région l’un des compositeurs français les plus talentueux de sa génération : Lionel Ginoux. Dans ses opéras (Médée Kali ou Wanda, voir Zib’ 117), ses cycles de mélodies, le jeune créateur puise dans des sources poétiques pointues une matière sémantique qui laisse libre cours à une imagination toute personnelle. Il développe une matière sonore, une langue et un lyrisme qui fondent une véritable signature. Dans une autre mesure, plus traditionnelle du point de vue formel et harmonique, Nicolas Mazmanian possède un style propre : ses Cinq miniatures (2017) oscillent entre les musiques du monde (l’Arménie de Komitas) et des arrangements jazzy qui rendent sa partition immédiatement accessible.
Jacques Freschel – Zibeline

instrumentation

1 violoncelle
2 sopranos 1
2 sopranos 2
2 altos

détails

durée 33′

création 12 avril 2018, Abbaye de Saint Victor, Emmanuelle Bertrand violoncelle, Choeur Hymnis, dir. Bénédicte Pereira

commande Les Amis de Saint Victor

représentation

dernier concert
12 avril 2018, Abbaye de Saint Victor, Marseille